Le destin de la France dépend désormais de sa capacité numérique !

 

Depuis des temps immémoriaux, le prix de la sécurité et de la paix pour un Etat était souvent celui d’une limitation de ses libertés et de son indépendance. Une perte de souveraineté néanmoins considérée comme acceptable au regard des bénéfices ainsi procurés par des alliances avec des Etats amis ou la protection d’un Etat plus puissant et mieux armé.

Animé par la volonté de ne pas soumettre la défense de la France, ni de confier sa destinée à son grand allié américain, le général de Gaulle1 a, en décidant le retrait de notre pays de l’OTAN en août 1967, rompu ce paradigme et introduit une nouvelle stratégie, celle de la réponse du « faible au fort », rendue possible par notre maîtrise des technologies nucléaires et la constitution de notre propre arsenal de dissuasion.

La transformation numérique aujourd’hui à l’œuvre dans tous les domaines introduit aujourd’hui une nouvelle donne dans la stratégie de défense des Etats dont les manifestations sont désormais de plus en plus visibles sans être, néanmoins et à ce stade, spectaculaires : Blocages de sites internet, désinformation, attaques DDoS, manipulation de données sensibles, … jusqu’aux récentes accusations d’ingérences russes dans l’élection présidentielle américaine de 2016 qui ont fait l’objet des représailles diplomatiques2 les plus importantes depuis la guerre froide. Mais il est clair que cette réponse conventionnelle à des attaques qui ne le sont plus, ne pourra être efficace, parce qu’inappropriée.

Aujourd’hui, et à l’heure du « tout numérique » la destabilisation d’une entreprise, d’une organisation ou même d’un Etat peut être le fait d’un simple « hackeur » doté de moyens modestes en comparaison des armes conventionnelles. Plus besoin d’aviation pour paralyser des voies de communication, anéantir des moyens de production ou provoquer de graves troubles dans l’organisation d’une société numérisée. L’objectif de l’assaillant n’est ainsi plus de mettre la main sur un territoire ou une richesse, mais de prendre la main sur le système qui les gouverne.

La dissuasion consistait à prévenir un acte en persuadant celui qui l’envisageait que les coûts qui en résulteraient inéluctablement en excèderaient les bénéfices attendus3. Mais ici l’acte peut-être banal et le fait d’un individu isolé. Et la réponse d’autant plus problématique.

Dans ce contexte, la protection semble le seul recours. Une protection qui requiert un haut niveau technologique et en permanence challengée. Aussi, s’il semble naturel de choisir les meilleures technologies pour l’assurer, la question se pose, différemment mais une nouvelle fois, de la souveraineté sur ces technologies. Car, et c’est là le paradoxe, nous voilà revenu à un cadre conventionnel où la protection est assurée par le fort. Technologiquement cette fois-ci. Et c’est bien ce qui est en train de se produire avec la perte de nos champions technologiques ou leur fuite vers des contrées plus propices à leur expansion. Mais aussi avec la pénétration de nos organisations et entreprises par des solutions informatiques sur lesquelles nous ne sommes plus en mesure d’exercer la moindre autorité et le pillage en règle de nos données par des entreprises hégémoniques.

Il est clair qu’aujourd’hui, notre souveraineté, c’est à dire notre capacité à choisir le monde dans lequel nous voulons vivre aujourd’hui et dans lequel nous voulons que nos enfants vivent demain, passe la maîtrise des technologies numériques.

A l’ère de l’internet des objets et de la blockchain, la vision naïve ou romantique d’un numérique libertaire est devenu dangereuse et il est grand temps que la France se dote d’une véritable et ambitieuse politique de souveraineté numérique.

Jacques MARCEAU
Président d’Aromates

 

  1. Charles de Gaulle, Discours et Messages – Tome 5, page 201 – Plon
  2. Missy Ryan, Ellen Nakashima et Karen DeYoung, « Obama administration announces measures to punish Russia for 2016 election interference », The Washington Post,‎ 29 décembre 2016
  3. Bruno Tertrais, « La logique de dissuasion est-elle universelle ? »[archive], sur Ministère de la Défense Site de référence[archive]